Avec la démolition de l’immeuble Monaco, symbole de l’empire du narcotrafiquant Pablo Escobar, la Colombie et Medellin racontent l'histoire du narcoterrorisme en adoptant un point de vue plus correct : celui de la perspective des victimes.
Le vendredi 22 février 2019, à 11h53, un bruit retentissant se produit au cœur d'El Poblado, un secteur exclusif de Medellin, la deuxième plus grande ville de Colombie et capitale du département d'Antioquia.
C'était un bruit sec et profond qui s’est écouté jusqu'à plusieurs pâtés de maisons à la ronde.
L'explosion a rappelé les heures sombres de l'histoire de Medellin, cette ville de gens travailleurs et prospères qui, à la fin des années 80, a vécu ses moments les plus difficiles en faisant face à la barbarie d'un des criminels les plus impitoyables de l'histoire : Pablo Emilio Escobar Gaviria.
Heureusement, la réalité actuelle est totalement différente. Ces jours-là font aujourd’hui parti du passé.
Contrairement aux moments de gloire et opulence d'Escobar, personne ne se trouvait dans le quartier cette fois-ci, aux abords de l'implosion qui était contrôlée par des ingénieurs experts en la matière.
Il n'y a pas eu un seul blessé. La douleur des victimes et des proches depuis trente ans a été remplacée par des applaudissements et des larmes de joie.
Le bâtiment qui a implosé est le Monaco, une construction érigée au milieu des années 80 par le baron de la drogue et leader visible du cartel de Medellin, Pablo Escobar.
L’immeuble, symbole de l’empire d'un criminel autrefois tout-puissant, s'est transformé en un nuage de poussière en une minute, reflet fidèle du royaume déchu du trafiquant de drogue qui autrefois défia l'État colombien et inonda les rues des États-Unis de cocaïne.
Toutefois, l'explosion de vendredi dernier n'ai pas la seule que le bâtiment a dû endurer. Il a résisté à au moins deux autres au cours de son histoire longue et ingrate.
La plus célèbre de celles-ci a eu lieu le mercredi 13 janvier 1988. Il était à peine cinq heures du matin lorsqu'un véhicule Toyota chargé de 80 kilos de dynamite a explosé à proximité de l'immeuble.
María Victoria Henao, femme d'Escobar, et ses deux enfants, Juan Pablo et Manuela, dormaient quand l'explosion les a réveillés. Escobar ne se trouvait pas dans le penthouse de plus de 1.500 mètres carrés.
Parmi les Escobars, Manuela est celle qui a le plus souffert de l'explosion. Depuis cet évènement, elle est atteinte d'une déficience auditive.
Ce fut une attaque qui marqua une étape importante dans la guerre entre Pablo Escobar et ses ennemis du cartel de Cali. C'est pourquoi l’immeuble Monaco est devenu un passage obligé pour les touristes faisant le narco-tours de la capitale d'Antioquia.
Aujourd'hui, trente ans plus tard, la Mairie de Medellin doit précisément faire face aux narco-tours, une forme de tourisme qui profite des cicatrices du Medellin de l'époque d'Escobar et qui, loin de le condamner, fait l’apologie de la vie et des crimes du célèbre narcotrafiquant.
C'est pourquoi, à travers l'initiative « Medellin embrasse son histoire », l’on cherche à susciter une réflexion quant au passé de la ville et à rendre hommage aux héros et victimes tombés aux mains du cartel.
Le maire de Medellin, Federico Gutiérrez, a déclaré qu’il « ne s’agissait pas d’effacer le passé ni l’histoire, mais de raconter les choses en adoptant le bon point de vue, celui des victimes et non des auteurs ».
L'implosion du bâtiment Monaco n'est pas une incitative isolée. Au contraire, c'est le début de la construction de la mémoire et de l'histoire.
En effet, dès les premières heures du matin, il y avait une grande agitation au Club Campestre Medellin, lieu disposé pour regarder l'effondrement.
Des centaines de personnes ont assisté à l'acte symbolique de démolition du bâtiment qui, abandonné, était pratiquement en ruines depuis plusieurs années, mais dont les fondations tenaient encore debout.
« Armés » de parapluies blancs et d'éventails pour résister à la chaleur torride de Medellin à midi, beaucoup ont assisté vêtus de blanc, avec leurs plus beaux habits pour une occasion solennelle et remplie d'histoires émouvantes.
Le président de la Colombie, Iván Duque, était présent et a salué l'initiative.
« Cet événement ne signifie pas la défaite de la culture de l'illégalité et le triomphe de la culture de la légalité. Il signifie que l'histoire ne sera pas écrite en fonction des auteurs, mais en reconnaissant les victimes » a-t ’il déclaré.
Et, en évoquant un verset de l'hymne national, le chef de l'Etat a ajouté : « La Colombie a tourné la page de cette « horrible chapitre » du cartel de Medellin. Une société d'innovation, de créativité, de science, de technologie est en train de se construire ».
La journée s'est poursuivie avec quelques vidéos des victimes de Pablo Escobar et avec les performances musicales du groupe afro-colombien Son Batá, du célèbre chanteur de salsa Yuri Buenaventura et de l'auteur-compositeur-interprète de Medellin Juanes. Tous accompagnés par le majestueux Orchestre Philharmonique de Medellin.
Yuri Buenaventura est l'auteur-compositeur-interprète de « La última bala » (La dernière balle), la chanson principale de la bande sonore de « Escobar, el patrón del mal »
(Escobar, le patron du mal), une série télévisée qui raconte la vie du chef du cartel de Medellin. Le chanteur de salsa a expliqué le sens de « Medellin embrasse son histoire ».
« Nous, colombiens, nous avons plein d’amour à partager avec le monde. Mais notre nation est peu connue à cause de gens comme Pablo Escobar qui n'ont pas laissé voir à l'humanité qu'il existe ici une nation d’amour et de lumière », a-t-il déploré.
Cependant, en sa qualité d'ambassadeur de la marque Marca Pais Colombia, il a appelé les colombiens de différents secteurs à continuer de travailler pour améliorer l'image de la Colombie à l'étranger.
« Nous devons tous travailler : artistes, artisans, politiciens, économistes et ouvriers. Nous représentons tous notre pays et nous devons travailler pour cela. Où que j'aille, j’emmène mon pays avec moi, parce que j’emmène ma culture, j’emporte avec moi notre musique, c'est naturel. Nous sommes la biodiversité, la joie, l'avenir. Pour ceux qui veulent investir, nous sommes un investissement, pour ceux qui veulent rêver, venez rêver, pour ceux qui veulent nager avec les baleines, venez et soyez heureux comme nous le sommes », a-t-il déclaré.
Le 21 février, la veille de la démolition de l’immeuble Monaco, 150 victimes du narcotrafic se sont rendues sur plusieurs lieux de la capitale d’Antioquia. Le premier arrêt fut au Parque del Poblado, où une sculpture en fer forgé appelée « Héros innocents » de l'artiste Cristóbal Gaviria, a été installée.
« Il voulait (que l'œuvre) soit la représentation du commencement d'une nouvelle histoire », explique-t-il.
La station de métro de Medellin, appelée La Floresta, était une autre halte de cette visite.
C’est là que le Commandant de la police d'Antioquia, le Colonel Valdemar Franklin Quintero, fut assassiné. Il s’agissait d’un officier incorruptible qui était devenu une épine dans le pied pour Escobar et ses sbires.
Le matin du 18 août 1989, alors que le jour se levait à peine, le colonel fut criblé de balles par les hommes armés d'Escobar. Sa femme et son fils Richard apprirent la nouvelle à la radio. Richard avait alors 17 ans.
« Trente ans plus tard, nous sommes réunis ici pour célébrer son héritage, son exemple de vie et son courage, qui demeurent indemnes », a déclaré Richard Franklin, manifestement ému en se souvenant de son père.
Une plaque commémorative faisant état de la première page du journal traditionnel de Medellin « El Colombiano » a trouvé sa place dans cette station. Son gros titre « Le commandant de la police d'Antioquia sacrifié » rend compte du meurtre du colonel Franklin.
Par la suite, la visite s'est poursuivie au musée de la Casa de la Memoria où l'on rend hommage aux victimes. C’est un musée rempli de photos qui ne permettent pas d'oublier ce qui s'est passé et qui cherche à garantir que cela ne se reproduise plus.
Claudio Galán a réalisé toute la visite guidée. Claudio est le fils de Luis Carlos Galán, candidat du Parti libéral à la présidence lors des élections de 1990.
Galán était devenu un bastion de la lutte contre la corruption et un ennemi déclaré du trafic de drogue et d'Escobar lui-même. Il allait être élu à la plus haute fonction de l'État pour la période 1990 - 1994.
Quinze heures après l'assassinat du colonel Franklin, Galán faisait campagne à Soacha, une commune située au sud de la capitale colombienne, Bogota.
Il entra dans la place centrale de cette commune. Une poignée de tueurs à gage l'attendaient patiemment. Une fois monté sur scène pour s'adresser à ses milliers de partisans, il fut foudroyé par une rafale de mitraillette. Le blessé, transporté au centre de santé le plus proche, décéda quelques minutes plus tard.
Ainsi clôturait la terrible journée du 18 août 1989.
Le frère aîné de Claudio, Juan Manuel, a également assisté à la démolition de l’immeuble Monaco. Il ne reste plus grand-chose de ce jeune homme qui, à l'âge de 17 ans et en plein enterrement de son père, donnait les drapeaux de son mouvement à César Gaviria Trujillo, qui fut finalement élu président de la Colombie.
« La démolition de l’immeuble Monaco est un point de départ et non un point d'arrivée dans la reconstruction de l'histoire et de la mémoire des victimes et des héros tombés au champ d'honneur pour défendre la vie, la liberté, contre ces criminels », a déclaré l'ancien sénateur Juan Manuel Galán.
Et il a raison. C'est un point d'arrivée, car pour reprendre les mots du maire Federico Gutiérrez lui-même, « ce qui nous est arrivé ne doit jamais se répéter ».
La garantie totale de non-répétition, comme l'a chanté Yuri Buenaventura avant la démolition, est celle qui permettra aux colombiens de sécher mutuellement leurs « larmes de joie ».
Ces larmes qui coulent pour ceux qui représentent si bien la Colombie : James, Falcao, Montoya, « El Pibe », Gabo, Botero, Llinás, Juanes, Vives, Sofía Vergara, Shakira, J Balvin, Maluma, Nairo et Rigo.
Ainsi des millions de colombiens qui envisagent désormais avec optimisme un avenir rempli d'espoir et de fierté pour ce qui a été accompli jusqu'à présent et les victoires à venir.